Pierre Michon
Pierre Michon est né dans le hameau des Cards, près de Châtelus-le-Marcheix dans la Creuse. Il a grandi dans la maison d’école de Mourioux, auprès de sa mère institutrice, et fait toutes ses études secondaires au lycée de Guéret. Après des études de Lettres à Clermont-Ferrand et une expérience militante de comédien dans un théâtre d’essai, il se consacre exclusivement à l’écriture sans rien publier avant Vies minuscules (1984), livre-culte devenu un classique de la littérature contemporaine qu’il a puissamment contribué à renouveler. Recueillant et transfigurant les destins obscurs des siens, l’écrivain introduit en littérature le topos fécond du minuscule pour interroger sa propre genèse et l’histoire de sa vocation. Ainsi, en faisant sienne la démarche de textes archaïques qui mettent l’accent sur les invariants de l’humanité, en l’insérant dans un projet personnel qui en permet le renouvellement, Pierre Michon le dote d’une très émouvante nécessité.
Selon des dispositifs et modalités divers, les récits suivants poursuivent l’élaboration d’une véritable poétique de la biographie. Les vies des peintres s’attachent à Van Gogh (Vie de Joseph Roulin,1988), à Goya, Watteau et Piero della Francesca (Maîtres et serviteurs, 1990), ou à Claude le Lorrain (Le Roi du bois, 1996). Le « quasi roman » de La Grande Beune (1996) installe une pure écriture du désir auprès des cavernes peintes de Lascaux. C’est sur elles également que se clôt le violent récit des Onze (2009) qui évoque le chef-d’œuvre du peintre François-Élie Corentin, auteur du tableau où figurent les onze membres du Comité de salut public de la Grande Terreur. Les héros ainsi convoqués dans une éblouissante précision savante sont saisis au prisme d’une double subjectivité : celle d’un regard interposé, celle surtout de l’auteur narrateur lui-même
Introduites par Rimbaud le fils, (1991), qui apporte à son auteur un début de notoriété, des figures d’écrivains illustres sont interrogées. Le nom de Rimbaud, métonymie de la poésie, est corps de gloire. Dans Corps du roi (2002), pour évoquer les écrivains qu’il aime (Beckett, Flaubert, Faulkner, Hugo), Michon active la dialectique entre, d’une part, le corps fonctionnel et mortel et d’autre part le corps dynastique et éternel « que le texte intronise et sacre ». Dans Trois auteurs (1997) déjà, il avait célébré — outre Balzac et Cingria — Faulkner, nommé significativement le père du texte : il lui a donné « la permission d’entrer dans la langue à coups de hache, la détermination énonciative ». Dans ces fragments de vie pleins de substance et d’émotion, ces apparitions, on mesure toute l’originalité de cette écriture biographique qui fonctionne au vrai comme instrument de connaissance et d’appréhension, dialectisant les rapports entre réalité et fiction, sans aucunement masquer une invention qui au contraire s’affiche, s’autocritique et s’en amuse.
D’autres récits plongent dans l’opacité des temps barbares (L’Empereur d’Occident, 1989), le vieux fonds légendaire de l’Occident (Mythologies d’hiver, 1997), l’imaginaire médiéval d’une chrétienté violente de fondateurs (Abbés, 2002) : autant de drames brefs qui sont méditation sur la gloire, la grâce et la vanité, le chaos et la création, la posture voire l’imposture du créateur dans une passionnante mise en abyme de l’écriture. C’est en somme « l’autobiographie du genre humain » qui s’écrit ici : « je cherche des hommes dans l’archive, j’en trouve, et j’essaye de leur redonner vie ».
Cette splendide constellation de récits maintient l’unité de mesure inaugurale, la forme tendue du récit bref évacuant tout le « remplissage » romanesque qui est la marque de Michon. Un commentaire définit l’entreprise : c’est « un dialogue avec des morts, peut-être un appel ». Une autre singularité de l’écriture tient à la grande présence du biographe. Toutes ces histoires sont portées par la voix fervente de ce narrateur empathique, une voix incarnée, lestée de son poids d’histoire personnelle, sarcastique, dubitative ou fraternelle. Elle intervient, coupe et commente sa propre narration avec un lyrisme qui suscite une adhésion très vive mais paradoxale tant le discours multiplie les doutes et se relance aussitôt en éblouissantes hypothèses. Une énonciation frémissante, emportée, emporte à son tour le lecteur. Sa puissance est celle de la conversation familière, de l’énoncé oraculaire, de la prière. Elle tient à l’oralité de la voix et au travail des sonorités, « des sons de feuilles, de gong, d’avalanches ». La phrase est dense, profuse, débordée par l’émotion. Apparemment classique et coulée dans le moule latin, elle opte pour la période, son architecture savante, son balancement, mais somptueuse et trouée de trivialités, toujours surprenante à la façon de Michon, « c’est-à-dire boueuse et rutilante », elle rythme la langue dans l’émoi.
L’écriture des vies rend compte de toute une vie en écriture. Dans Le roi vient quand il veut (2007) — un recueil de trente entretiens que Michon a choisis parmi une soixantaine parue entre 1989 et 2007 — on entend bien la même voix, celle de l’homme, dont le métier d’homme est la littérature, et celle de l’écrivain continuellement nourri des grandes œuvres dont il renouvelle la lecture de façon toujours ample et précise. Cette voix simple et forte puise, entre héroïque enthousiasme, ironie et lucidité, le ressort d’une énergie rare et trace un parcours d’écriture ininterrompue, une aventure en littérature. Dans le rythme et la scansion, l’écriture somptueuse et limpide renouvelle de façon surprenante la prose française confirmant l’importance d’un écrivain de tout premier plan.
Selon des dispositifs et modalités divers, les récits suivants poursuivent l’élaboration d’une véritable poétique de la biographie. Les vies des peintres s’attachent à Van Gogh (Vie de Joseph Roulin,1988), à Goya, Watteau et Piero della Francesca (Maîtres et serviteurs, 1990), ou à Claude le Lorrain (Le Roi du bois, 1996). Le « quasi roman » de La Grande Beune (1996) installe une pure écriture du désir auprès des cavernes peintes de Lascaux. C’est sur elles également que se clôt le violent récit des Onze (2009) qui évoque le chef-d’œuvre du peintre François-Élie Corentin, auteur du tableau où figurent les onze membres du Comité de salut public de la Grande Terreur. Les héros ainsi convoqués dans une éblouissante précision savante sont saisis au prisme d’une double subjectivité : celle d’un regard interposé, celle surtout de l’auteur narrateur lui-même
Introduites par Rimbaud le fils, (1991), qui apporte à son auteur un début de notoriété, des figures d’écrivains illustres sont interrogées. Le nom de Rimbaud, métonymie de la poésie, est corps de gloire. Dans Corps du roi (2002), pour évoquer les écrivains qu’il aime (Beckett, Flaubert, Faulkner, Hugo), Michon active la dialectique entre, d’une part, le corps fonctionnel et mortel et d’autre part le corps dynastique et éternel « que le texte intronise et sacre ». Dans Trois auteurs (1997) déjà, il avait célébré — outre Balzac et Cingria — Faulkner, nommé significativement le père du texte : il lui a donné « la permission d’entrer dans la langue à coups de hache, la détermination énonciative ». Dans ces fragments de vie pleins de substance et d’émotion, ces apparitions, on mesure toute l’originalité de cette écriture biographique qui fonctionne au vrai comme instrument de connaissance et d’appréhension, dialectisant les rapports entre réalité et fiction, sans aucunement masquer une invention qui au contraire s’affiche, s’autocritique et s’en amuse.
D’autres récits plongent dans l’opacité des temps barbares (L’Empereur d’Occident, 1989), le vieux fonds légendaire de l’Occident (Mythologies d’hiver, 1997), l’imaginaire médiéval d’une chrétienté violente de fondateurs (Abbés, 2002) : autant de drames brefs qui sont méditation sur la gloire, la grâce et la vanité, le chaos et la création, la posture voire l’imposture du créateur dans une passionnante mise en abyme de l’écriture. C’est en somme « l’autobiographie du genre humain » qui s’écrit ici : « je cherche des hommes dans l’archive, j’en trouve, et j’essaye de leur redonner vie ».
Cette splendide constellation de récits maintient l’unité de mesure inaugurale, la forme tendue du récit bref évacuant tout le « remplissage » romanesque qui est la marque de Michon. Un commentaire définit l’entreprise : c’est « un dialogue avec des morts, peut-être un appel ». Une autre singularité de l’écriture tient à la grande présence du biographe. Toutes ces histoires sont portées par la voix fervente de ce narrateur empathique, une voix incarnée, lestée de son poids d’histoire personnelle, sarcastique, dubitative ou fraternelle. Elle intervient, coupe et commente sa propre narration avec un lyrisme qui suscite une adhésion très vive mais paradoxale tant le discours multiplie les doutes et se relance aussitôt en éblouissantes hypothèses. Une énonciation frémissante, emportée, emporte à son tour le lecteur. Sa puissance est celle de la conversation familière, de l’énoncé oraculaire, de la prière. Elle tient à l’oralité de la voix et au travail des sonorités, « des sons de feuilles, de gong, d’avalanches ». La phrase est dense, profuse, débordée par l’émotion. Apparemment classique et coulée dans le moule latin, elle opte pour la période, son architecture savante, son balancement, mais somptueuse et trouée de trivialités, toujours surprenante à la façon de Michon, « c’est-à-dire boueuse et rutilante », elle rythme la langue dans l’émoi.
L’écriture des vies rend compte de toute une vie en écriture. Dans Le roi vient quand il veut (2007) — un recueil de trente entretiens que Michon a choisis parmi une soixantaine parue entre 1989 et 2007 — on entend bien la même voix, celle de l’homme, dont le métier d’homme est la littérature, et celle de l’écrivain continuellement nourri des grandes œuvres dont il renouvelle la lecture de façon toujours ample et précise. Cette voix simple et forte puise, entre héroïque enthousiasme, ironie et lucidité, le ressort d’une énergie rare et trace un parcours d’écriture ininterrompue, une aventure en littérature. Dans le rythme et la scansion, l’écriture somptueuse et limpide renouvelle de façon surprenante la prose française confirmant l’importance d’un écrivain de tout premier plan.
Prix obtenus
- Prix France Culture pour Vies minuscules, 1984
- Prix de la Ville de Paris pour l’ensemble de l’œuvre, 1996
- Prix Louis Guilloux pour La Grande Beune, 1997
- Prix Décembre pour Abbés et Corps du roi, 2002
- Grand Prix de littérature de la SGDL pour l’ensemble de l’œuvre, 2004
- Grand Prix du roman de l’Académie française pour Les Onze, 2009
- Prix Pétrarque pour l’ensemble de l’œuvre, 2010
- Grand Prix ARDUA (Universités d’Aquitaine) pour l’ensemble de l’œuvre, 2013
- Prix Marguerite Yourcenar (SCAM) pour l’ensemble de l’œuvre, 2015
- Premio internazionale Nonino pour Vies minuscules (trad. italienne 2016), Udine, Italie, 2017
- Premio letterario Giovanni Comisso pour Vies minuscules (trad. italienne 2016), Trévise, Italie, 2017
- Prix Franz Kafka, 2019
- Prix 2022 de la BnF
Photographie : Daniel Mordzinski